
A l'occasion d'un concours à Caen, je suis montée à Honfleur et j'ai visité les Maisons Satie. Je me permets donc un petit mot sur ce musée, installé dans la demeure où est né le compositeur. L'effort de créativité est impressionnant, ceux qui se sont occupés de l'aménagement ont dû s'arracher les cheveux pour retranscrire le caractère loufoque de Satie. On peut notamment voir une... gigantesque poire (lisez l'article, vous comprendrez). Un manège où il faut s'asseoir sur des sièges et pédaler pour entendre de la musique (pas folle, je suis restée à côté des sièges et j'ai actionné la pédale à la main, la machine faisait peur). Et une pièce toute blanche, qui ne comprend qu'un piano - blanc - et un banc pour les visiteurs ; la couleur marron de celui-ci montre bien une différence entre notre monde et celui du compositeur. La visite était agrémentée de commentaires audio grâce à un baladeur commandé par des capteurs infrarouges. L'idée est sympa, la réalisation un peu moins, parce que s'il y a un défaut dans l'appareil on manque beaucoup d'explications qui ne sont pas écrites... Quant au petit film concluant la visite (sur Parade), je ne l'ai pas regardé en entier, on aurait dit de l'art moderne joué par des danseurs et ce n'est pas ce qui me touche. En somme, si vous passez à Honfleur, je vous recommande les Maisons Satie, on y apprend beaucoup et surtout le musée retranscrit vraiment la personnalité du compositeur, un aspect souvent laissé de côté quand on va voir une exposition dans d'autres musées moins "spécialisés".
Erik Alfred Leslie Satie est né le 17 mai 1866 à Honfleur, en Basse-Normandie. Sa mère, Jane Leslie Anton, est britannique ; son père, Alfred Satie, est un courtier maritime normand. Le jeune Erik est d'abord baptisé dans la religion anglicane, puis dans la religion catholique suite à la mort de sa mère en 1871. Son premier professeur de musique est l'organiste de l'église Saint Léonard de Honfleur, un ancien élève de l'école Niedermeyer qui compose aussi des valses lentes. A douze ans, Satie suit son père à Paris ; son géniteur se remarie avec la pianiste et compositrice Eugénie Bametche. Le futur compositeur est élève au Conservatoire national de musique et de déclamation, de 1879 à 1886, mais ses résultats sont mauvais. C'est pour pouvoir quitter le Conservatoire qu'il se porte volontaire pour le service militaire, auquel il échappe finalement grâce à une pleurite qu'il contracte en s'exposant délibérément au froid des nuits d'hivers.
En 1887, Alfred Satie, en tant qu'éditeur de musique, publie les premières mélodies de son fils. Celui-ci ne tarde pas à quitter sa famille pour s'installer à Montmartre, où il fréquente le Chat Noir, dont il dirige l'orchestre. En 1888 il compose trois Gymnopédies orchestrées par Claude Debussy. A ce jour, il s'agit encore de ses oeuvres les plus jouées. Le titre, de gymnos (nu) et paidos (enfants) est un indice quant à l'inspiration : des danses d'enfants spartiates.
En 1891, le Sâr Péladan, Grand Maître de la Rose+Croix, le nomme "maître de chapelle" de son ordre. Satie composera plusieurs oeuvres pour les Soirées de la Rose+Croix (les Sonneries de la Rose+Croix, Le Fils des Étoiles), qui auront lieu dans le cadre d'une exposition de poésie symboliste à la Galerie Durand-Ruel. Quelques mois plus tard il se sépare de Péladan. Avec le poète J.P. Contamine de Latour il compose Uspud, un ballet chrétien. En 1893 il a une brève relation avec Suzanne Valadon qui avait illustré une édition de Uspud.
Il compose Danses gothiques, ainsi qu'une partition minuscule, Vexations, dont la particularité est d'être destiné à être jouée 840 fois de suite - soit, selon le tempo, durant un temps allant de 12 à 24 heures. Cette partition est aujourd'hui le support de nombreux marathons pianistiques dans la monde entier. A partir de là, les partitions de Satie s'enrichissent d'indications de jeu "personnalisé" qui soulignent le caractère fantaisiste du compositeur.
Satie se sépare de Suzanne Valadon et fonde "l'Église métropolitaine d'art de Jésus-Conducteur" destinée à combattre la société par les moyens de la musique et de la peinture. Chef et seul adepte de cette Église, il s'attaque aux personnalités les plus en vue du Tout Paris. Il compose une Messe des Pauvres pour les cérémonies de son église, dans le "Placard" qu'il habite au 6 rue Cortot.
Vers 1898 il se consacre au Caf' Conc' et au music-hall, troque la tenue d'homme d'église contre un complet de velours acheté en sept exemplaires identiques qu'il portera sept ans durant. Il déménage dans la banlieue-sud de Paris, à Arcueil-Cachan. Quelques années plus tard il s'inscrit au parti radical-socialiste puis à la S.F.I.O. après l'assassinat de Jaurès et, enfin, au parti communiste après le Congrès de Tours. Il donnera des cours de solfège aux enfants défavorisés de la commune et les amènera en promenade, les jours fériés, par classes entières.
En 1903 il compose Trois Morceaux en forme de poire, titre qui fera sa notoriété. Il s'agirait, selon une théorie, d'une pique lancée à Debussy qui lui aurait conseillé de retravailler la forme de ses oeuvres. Pour d'autres, c'est un clin d'oeil aux détracteurs du même Debussy qui, face à son opéra Pelléas et Mélisande (en 1893), aurait déclaré que la musique n'avait pas de forme... Mais d'ailleurs, ces "Trois Morceaux" comptent en réalité sept morceaux.
En 1905, alors qu'il a presque quarante ans, il retourne étudier la musique et s'intéresse au contrepoint. Trois ans plus tard, la Schola Cantorum lui décerne son premier diplôme, mention "Très bien". Maurice Ravel le redécouvre au début des années 1910 et le présente comme le précurseur de la nouvelle musique. Satie trouve alors enfin des éditeurs et des interprètes pour ses oeuvres de jeunesse et celles qu'il compose ensuite, plus fantasques, comme le recueil Sports & Divertissements.
La Première Guerre mondiale met fin à cette époque heureuse ; mais en 1916, Jean Cocteau lui fait composer Parade, avec décors et costumes de Picasso, joué par les Ballets Russes au Châtelet.
Les nouvelles générations le soutiennent, des musiciens inconnus mais prometteurs se réclameront de son esthétique et formeront, sous son égide, l'École d'Arcueil.
Satie compose, d'après les dialogues de Platon, un drame symphonique : Socrate. Loin de ses habituelles fantaisies musicales, l'oeuvre surprend. Ajoutons à la liste de ses oeuvres deux ballets, Mercure (avec Picasso) et Relâche (avec le dadaïste Picabia), de même que la première musique de film, basée sur le rythme et la fréquence des images plutôt que sur l'intrigue, pour Entr'acte de René Clair.
Il s'éteint le 1er juillet 1925 à 59 ans, suite à une longue maladie. On découvre alors qu'il a vécu dans une totale misère, entouré de manuscrits et de milliers de billets énigmatiques dont il n'avait jamais parlé à qui que ce soit, de son vivant.
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